La tête de l’emploi
Hélène est-elle kayakiste ? Les paris sont ouverts !
Histoire d’une (im)posture.
Il existe un usage pénible lorsque vous vous rendez à une soirée où vous ne connaissez personne. Bien avant que la musique fasse criser le voisin et que les gens hurlent “j’adore cette chanson !”, il faut briser la glace avec tous ces inconnus tout aussi intimidés que vous.
Passé le classique tour des prénoms, vient le non moins classique “et toi, tu fais quoi ?” Puisque, c’est un fait, l’humain aime catégoriser et étiqueter. Ainsi, connaître votre métier permet à l’autre d’immédiatement vous cerner (en théorie). Cela m’a toujours exaspéré, convaincue que cette question peut s’avérer difficile voire embarrassante pour certains individus. Même en week-end, nous sommes en représentation. Nous devons montrer que nous sommes épanouis dans notre travail, ou que si nous le détestons ce n’est que temporaire, et que si nous n’en avons pas, eh bien, c’est que nous prenons du recul.
Notre travail est le rôle social qu’on essaie de bien jouer. Alors, jouons justement.
“Et si nous devinions Qui est qui ? comme dans l’émission de Marie-Ange Nardi”, lance une invitée. Trop tard pour aller fumer une cigarette, je suis coincée dans le cercle des questions/réponses. Deuxième dans l’ordre de passage, après la jolie blonde qu’aucun d’entre nous n’imaginait en “chroniqueuse judiciaire”. Alors là non, pas du tout.
Puis, c’est à moi de passer au scanner. Je réajuste mes lunettes. M’efforce de rentrer dans la panoplie type de l’écrivain (binocles-cheveux ébouriffés-vieux pull crado ou chemise immaculée). J’aurais dû manger mon Modiano avant de venir, mais je ne m’attendais pas à devoir jouer mon rôle. Je voulais juste danser, moi.
L’actrice Sylvie Testud dans la panoplie de l’écrivaine Françoise Sagan.
Comme prévu, les convives ne trouvent pas qui je suis.
Ça ressemble à quoi un écrivain ? Je me le suis souvent demandé devant mon miroir avant un rendez-vous avec mon éditrice ou pour une interview. Car, comme le souligne avec justesse Annie Ernaux dans le dernier Télérama : “(…) dans l’inconscient collectif demeure la croyance qu’un écrivain, c’est un homme”. Souvent vieux, parfois mort, toujours génial. Me sentant pas légitime à cause de cette image d’Épinal, je continue à fixer mes Converse rose.
Tandis qu’on m’interroge encore et encore, je pense à celles et ceux qui ont bousculé les codes (Carson McCullers, Hunter S.Thompson, Virginie Despentes, James Baldwin, etc). Très loin d’avoir leur talent, je puise néanmoins du courage pour rouvrir mes yeux pailletés et trop fardés. Quelqu’un dit “écrivain”, je murmure “écrivaine, oui”. En tremblant un peu.
Trop de brushing pour une écrivaine, non ?
Je reprends un énième verre. Consciente de cocher une case dans la tête de mes interlocuteurs. Que pourrais-je faire d’autre ? Certainement pas boire de la verveine devant Top Chef.
“Ah, tiens tu regardes pas La Grande Librairie ?” Pas plus que je ne traîne en robe de chambre toute la journée (quoique), pas plus que je ne descends une bouteille de gin en griffonnant toute la nuit. Je m’entends décrire ma routine chiante à souhait. Je bafouille moins, je raconte mon vrai moi en déchirant de plus en plus le costume encombrant.
Quelqu’un me tapote sur l'épaule. Notre hôte, qui veut me confier la playlist de la soirée. “T’as été DJ, non ?” C’est 5 % vrai et je n’étais pas très douée. Mais qu’importe ? Ce soir, je brouille les cartes.
Susan Sontag : Romancière, essayiste, militante et ourse à la fois.