Mon royaume pour un fauteuil

Le Dr House évanoui dans le siège mythique de Charles & Ray Eames.

Le Dr House évanoui dans le siège mythique de Charles & Ray Eames.

Histoire d’un coup de foudre.

J’étais alors étudiante en Arts Appliqués, mes seules préoccupations étaient de rendre des dessins de perspectives à l’heure et de me promener dans les musées parisiens. Lors d’une sortie aux Arts Décoratifs, je suis tombée raide devant une pièce iconique : le fauteuil Lounge Chair et le repose-pieds Ottoman de Charles & Ray Eames.

Combien de fois l’avais-je contemplé dans les magazines de décoration que ma mère conservait presque religieusement ? Le fauteuil n’était plus une image en papier glacé, mais un siège de cuir sur lequel il m’était même permis de m’asseoir. J’en profitais donc et goûtais à son “luxe voluptueux que peu de mortels ont connu depuis Néron” comme l’écrivait un journaliste de Playboy dans un article de 1961 consacré au design.

À regrets, je quittai le Lounge Chair. À peine rencontré. Déjà jalouse des autres visiteurs qui se pressaient à ma suite pour l’essayer. Je n’avais jamais eu de rêves de maison ou de voiture, j’avais désormais celui d’acquérir un jour ce merveilleux fauteuil…

Fauteuil Lounge Chair 670 et repose-pieds Ottoman 671. Charles & Ray Eames. États-Unis, 1956.

Fauteuil Lounge Chair 670 et repose-pieds Ottoman 671. Charles & Ray Eames. États-Unis, 1956.

D’ailleurs peut-on encore parler d’un objet inanimé pour cette star du design du XXe siècle ? Le Lounge Chair a une carrière prodigieuse : passé dans le show américain d’Arlene Francis dans les années 50 à une heure de grande écoute, présent dans tous les grands musées du monde et entrevu à maintes reprises au cinéma ainsi que dans des séries télévisées (James Bond, Iron Man, Closer, Dr House, Gossip Girl).

Né en 1956 de parents designers (tout aussi légendaires) Charles et Ray Eames, avec le cinéaste Billy Wilder pour parrain (ami du couple, il recevra le second modèle de la production), ce fauteuil est une interprétation américaine moderne du “Club” anglais.

Tout est révolutionnaire : la structure, la ligne, les matériaux. Le duo Eames réussit le mariage équilibré entre impératifs techniques et liberté du design. “A star is born”.

3 icônes : Ray, Charles et le Lounge Chair.

3 icônes : Ray, Charles et le Lounge Chair.

Je pourrais en dire bien davantage vu le nombre d’articles qui pullulent sur Internet pour raconter son histoire. Mille fois est rapporté le souhait exprimé par Charles Eames de concevoir un siège “à l’aspect chaleureux d’un gant de baseball bien patiné”. Et en effet il n’est pas exagéré d’affirmer que son confort reste inégalé.

Des années passèrent avant que je ne recroise le fauteuil de mes pensées. Dans le cabinet de ma psy. J’ai dû me pincer pour ne pas me croire dans un film de Woody Allen ! Il était bien là, toujours aussi accueillant. Quel choix astucieux du thérapeute pour provoquer l’épanchement de ses patients. Le seul risque était de s’endormir tel le producteur Julian Blaustein (autre ami des Eames) qui, venu tester le Lounge Chair pour travailler des scénarios, était reparti sans avoir lu une ligne !

Aujourd’hui, je ne possède toujours pas cette pièce mythique. (J’ai espéré, un temps, hériter de celle de l’écrivain Philip Roth, mais celui-ci a préféré la léguer à quelqu’un d’autre, forcément). Alors est-ce qu’à 36 ans, je peux conclure que j’ai raté ma vie ? Mon penchant pessimiste ricane déjà, mais mon âme d’enfant aime y voir la poursuite d’un rêve perpétuel.

Mohamed Ali entre deux combats.

Mohamed Ali entre deux combats.

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