Partir quand même
Histoire d’un voyage immobile.
“J’aime plus Paris”, semblent-ils tous chanter. Depuis 2017, la capitale ne cesse de perdre des habitants, 50 000 selon l’INSEE. Et la pandémie n’a rien arrangé. Une étude de mars 2021 révélait même que 1 Parisien sur 2 avait déménagé ou envisageait de le faire dans les mois suivants. “Et moi, et moi, et moi ?”
N’avais-je pas assez râlé à propos du manque d’espace pendant les confinements ? L’appart’ était devenu un combiné bureau-salle de yoga-jardin-cinéma-bar à cocktails. Car oui, la crise sanitaire a convaincu les derniers parigots “réfractaires au changement” qu’une vie était possible ailleurs. Que bricoler, jardiner et décorer étaient devenues des activités hautement désirables. Et puisqu’ Insta me le disait, je le croyais.
Une famille au bord de la crise de nerfs au temps du Covid. (Adrian Tomine pour le New Yorker.)
Deux ans après, j’attends toujours le déclic “comme un con de Parisien” (encore du Dutronc). J’y pense et puis j’oublie devant mon brouilly tiédi par le chauffage extérieur d’une terrasse où l’on se range en Tetris.
Je fais le tour des déserteurs parmi mes amis. Les photos de mon fil WhatsApp défilent. J’envie les virées d’après-boulot dans les calanques, les mètres carrés supplémentaires de Clamart, les constructions de dépendances dans les jardins sans vis-à-vis...
Une cabane me suffirait, du type Tiny House. Un petit espace, mais des fenêtres en plan large sur l’extérieur. Ces micro-cabanes font fureur auprès des trentenaires suractifs, lessivés par quinze années de frustration citadine. Je passe des soirées à ne pas sortir, à scroller ces mini-maisons sur Pinterest, à suivre les aventures de ce couple “ultra cool” qui construit sa -plutôt grande- Tiny House au bord d’un lac. J’y pense et puis je me dis qu’en vrai, une cahute dans la forêt n’empêche pas pour autant les scènes de ménage.
Qui aura la garde des Huskies ?
“Dans mon p’tit lit en plume d’oie”, je m’endors. Et quitte à rêver, autant s’imaginer dans LA maison idéale.
C’est Xanadu, une construction de l’architecte Ricardo Bofill récemment disparu, qui surgit. Je suis alanguie sur un sofa dans cette maison bizarroïde qui paraît tout droit sortir d’un animé de Miyazaki. Une table est dressée pour treize convives, mais personne ne viendra. Retirée en ermite, j’ai abandonné Wifi et amis. Rien, pas une notif’ pour me prévenir de l’arrivée imminente d’un tsunami (très fréquents sur la Côte d’Azur). Xanadu vole en éclats. Mon sommeil aussi.
Xanadu de Ricardo Bofill situé à Calpe. Un château en Espagne ?
Je me réveille dans “mon petit chez moi”. Soulagée de me retrouver dans les contours familiers de mes meubles. Dans une époque dure et désorientée, notre logement est devenu une base arrière. En ce sens, le livre “Chez soi” de l’essayiste Mona Chollet nous invite à nous réapproprier notre espace, à (re)tomber amoureux de notre intérieur.
Parfois il suffit de ranger (en se faisant aider par une home organizer magicienne comme Little Boxes), parfois ce sont des tulipes et de nouveaux coussins qui vous ligoteront à votre home sweet home.
Rêver d’ailleurs peut suffire. Et en attendant de partir vraiment, se dire qu’il est toujours délicieux de retrouver ses amis au café pour se plaindre. Car “c’est la vie, c’est la vie”.